jeudi 17 novembre 2011

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Appréhensions romaines

Des retraites impassibles, des débordements univoques, des irascibilités indistinctes, véhémence et retrait.
La vérité à Rome est piètre, inutile et malfaisante. Elle amène ces individus épars à recréer une sorte de cohorte, enchaînement invariable de cris apeurés et soupirs rejetés au hasard des connivences. Des rencontres s’établissent maladroitement. Il faut s’échapper du bruit des rues, du labyrinthe, ne serait-ce qu’un piètre instant, discerner une voix,une femme qui se mouche ou siffle au gré d’une atmosphère tiède, incommodante telle la mort désacclimatée et inconvenante dans sa parure fabriquée un soir de carnaval à la piazza Farnese.
Ils passent leur temps à déambuler, courir le temps sans s’inquiéter des conséquences. Tôt au tard, ils en paient le prix, modique pour ces heures de douce lassitude.
Rien n’arrive… Même l’imprévisible a un goût de recycler.
Rome Chaleur Brume. On y aspire les volutes de cigarettes plus qu’ailleurs. Une torpeur lancinante vous étreint dès une heure de l’après-midi, un sortilège inhalant des effluves d’herbe séchée, de terre mêlée à une eau suintante. Adossé dans une lumière rendue blanche par l’intensité, le soleil fait son œuvre jusqu’aux prémisses de l’insolation en accord avec cette irrépressible envie de basculer, laisser tomber la tête dans cet espace vide.
Rome prend les couleurs des voyageurs qui la traversent. On n’y parle pas, mais on discute de tout et rien. Tout sert à tout, même l’homme allongé par terre garde sa place et évite de rompre le rythme trépidant des habitués de Termini. Des jardins entrecoupés de pierre, des esseulés disposés harmonieusement sur les escaliers de Sainte Marie Majeure.
Le rire de l’étranger à Rome est artifice : une ivresse permanente l’inquiète car il ne peut se l’expliquer. L’émotion est comme un mal-être et les rares éclats de violences des Romains si inattendus joueront au palliatif. Rome ne propose pas de perte de mémoire salvatrice, seul un verre de grappa renversé sur le rebord de la table en terrasse, flaque presque sèche mais juste assez poisseuse.
Rome n’est pas une villégiature mais une ville passionnelle et calme qui vous regarde vous entre-déchirer avec elle ou un autre. Elle vous saisit le plus soudainement par le froid qui s’abat vers cinq heures du soir dans les jardins de la villa Borghese parce que vous avez trop dévoilé son ou votre jeu mais quelle différence.
Vous êtes resté longtemps immobile, fasciné par un paysage, un homme et une femme jouant au ballon, à vous faire plaisir, émettre des interdits qui seront peut-être aussi vite oubliés. Peu de choses se fixent dans cette ville sinon la pyramide du Testaccio encerclée par les voitures et les tramways, une fin de course, la photo est ratée : contre-jour.
Le Tibre abandonné des Romains, contrée sauvage la nuit, les quais presque parisiens grignotés par la moisissure, les décharges où survivent les graffitis et les rats. Rome est une citadelle où Dieu et Diable vivent en concubinage, où les ossements des capucins servent de galeries aux morts. Les gamins s’en foutent, restent sur leurs pas-de porte et vous apostrophent lorsque vous passez trop près. Un homme dans sa voiture vous défend d’un geste d’approcher de son bazar métallique. Vous le crânez, vexé qu’il ne se laisse pas envahir.
Le Tibre ressemble à Rome par son cours irrégulier, à sec et  boueux, profond puis secoué de remous, une eau grise presque noire et par endroits captant le ciel, la pierre ocre et la branche enracinée.
Je retiendrai les courbes, les fontaines bordées de badauds où l’eau crépite, l’ombre le soir tombant de Giordano Bruno sur le Campo di Fiori qui semble encore condamner cette église prostituée, le banc arraché du square du Testaccio, l’allée de broussailles menant au Vatican et le choc physique du vide de la basilique, des complicités muettes, une légèreté, un regard enflammé… l’innocence !

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