mardi 29 novembre 2011

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La vie changeait peu à peu. L'harmonie s'établissait entre les plainétains et les mains vides. Des sentiments enfin! Ils purent mettre des noms sur l'indéfini: azur, aube, imagination, déluge, regard, femme, note, verbe, sagesse, charme, atout, valeur, naissance, éternité, larme... sur ces états d'âme dont ils avaient honte et par lesquels ils souffraient inconsciemment.
Une main vide avait trouvé les dictionnaires de Gaspard. Il faut reconnaître son dédain:  elle décidait de les brûler car ces mots ne reflétaient qu'une interprétation incomplète des sens qui lui traversaient l'esprit. Elle utilisait des phrases toutes faites entre lesquelles ses pensées vaquaient à leurs loisirs. 
Gaspard l'avait découverte glissant un oeil indiscret sur trois Larousse anciens de trois siècles. Tout de suite, Gaspard lui avait tiré les cheveux qu'elle avait roux. Il avait cru à un chat au poil identique et dont la verve l'empêchait de vivre, sous-entendue d'analyser. La vitalité et l'ardeur au combat de la jeune fille l'avaient troublé et fatigué. Il se laissa donc jeter à terre non sans quelque fierté. Le regard de la main vide n'était qu'éclats de fureurs. Elle allait se tordre sur elle-même lorsqu'il s'allongea près d'elle pour qu'elle évite les éclats de verre jonchant le sol.

lundi 28 novembre 2011

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Gaspard avait vingt ans, était bel homme. Le visage émacié, les sourcils fins, les cheveux blond auburn, les yeux verts marquaient une curiosité insatiable à l'égard de ses voisins. Une ondée passait retraçant comme par fait exprès les circonvolutions futiles de scarabées jouant à colin-maillard.
Gaspard s'ennuyait la plupart du temps qu'il agrémentait d'analyses dans un sens inconnu d'où des périodes de lassitude qu'il masquait le plus tôt possible. L'absence de rires lui était insupportable et même pénible. Il arborait donc une grimace amusée qui correspondait davantage à son caractère présent mais éveillait la jalousie de certains. Ces incompris décidèrent un jour d'épargner les requins, met favori et unique de Gaspard. Il dépérissait et ses autocritiques autrefois réconfortantes étaient vaines.
Bientôt, une nuée pacifique d'hommes aux mains vides accourut sur les plages bordant la plaine. Ces envahisseurs se disputaient sans cesse. Ils ne craignaient qu'une chose, les microbes psychologiques qui érodaient une à une leurs cellules cervicales. Les requins affluaient devant ces curiosités fines et délicates. 
La torture physique était évidemment bannie car neutre et coûteuse: payer le silence des uns et le "repos" des autres... le troc sévissait avec entrain et faisait le plaisir des éventuels touristes. Les plainétains étaient heureux enfin gais, sous-entendu sentiment analysé comme tel.

samedi 26 novembre 2011

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Il aimait le cinéma expressionniste muet
Pasolini
et Micromégas de Voltaire...

Le ciel avait déserté la terre. Nul n'osait souffler mot. Parfois, une éternelle rengaine brisait le silence. Son insoupçonnable origine ne faisait qu'accroître l'irritabilité individuelle. La vue baissait: la lumière du soleil était trop vive. Gaspard avait bien expérimenté toutes sortes de lunettes mais inutile! 
La plaine étroite ne permettait aucun débordement affectif. Chaque geste était précis, enregistré, presque nié. Pourtant un bonheur faux était d'augure en succédané de peines et désespoirs. Quelques étrangers nommaient ce lieu: "l'île des morts". Ses habitants ne pouvaient partir, réfléchir, apprécier. Ils ne connaissaient pas ces mots et Gaspard, seul légataire de dictionnaires se gardait bien de leur en révéler le sens. Lui-même y accordait peu d'importance sauf pour deux mots qui le tournaient en bourrique:"amour" et "variation". Il ne faisait aucune différence; aussi, associait-il ces écueils sur les partitions de musique avec gourmandise. Les risques étaient moindres et il riait souvent seul, en connivence avec son âme.

vendredi 25 novembre 2011

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Élise et Adèle regardaient par la fenêtre. Accoudées, la respiration lente. C'était l'aube. Le ciel était haut, les nuages épais, blancs, gris pâles, se détachant du fond.
Les empreintes de Jean marquaient la neige tombée dans la nuit. Élise les indiquait à Adèle, mais celle-ci restait l'oeil rivé à l'horizon, derrière la colline.
Jean était parti hier et avait pour seules confidentes de ce projet les deux soeurs. Il était parti comme à l'accoutumé par les champs, son sac, son gros pull et son ciré noir. Elle savait qu'il ne reviendrait pas. Élise, elle, présumait le contraire, incapable d'imaginer un quelconque abandon.
Le ciel se voilait. Élise regarda Adèle brièvement. Elle aimait sa soeur et craignait son intelligence. Adèle devinait, récitait, apposait ses mains sur son front doucement et fermait les yeux, appliquée dans l'effort.
Les deux fillettes descendirent de leurs chaises, rejoignaient la cuisine, leur mère et le petit-déjeuner.

jeudi 24 novembre 2011

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Assez de lest assez de doutes assez de formes assez d’ennui.
Plein de vestiges plein de fuites plein de fêlures plein encore.
Moins d’argent moins de chance moins de larmes moins toujours.
Par les landes par hasard par paresse par tout.

mardi 22 novembre 2011

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Il n’est pas vaniteux. Il trahit juste sa parole. Il n’intervient jamais. Il se contente de jeter un coup d’œil vers le fond quand on l’interroge. Il glace son auditoire parfois et recule toujours sa chaise avant de s’asseoir. Il aime son ventre, il le caresse de temps en temps l’air de rien. Il ne pose pas de questions. Il s’énerve quand il fait froid. Il rentre en lui-même plusieurs fois par heures. Il peut rester immobile longtemps après. Il récite à voix basse des cantiques de Bach. Il déteste qu’on pleure en sa présence. Il tend son foulard et insiste. Il revient sur ce qu’il dit. Il transforme le jaune en vert. Il regarde puis il embrasse. Il pose ses mains et courbe ses épaules. Il part le soir et revient le matin. Il est souvent absent en esprit. Il approche.

lundi 21 novembre 2011

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 Me trotter dans la tête jusqu’à virer à l’obsession
Savoir comment percevoir ce silence
Ramener les images anciennes
Inventer un autre dénouement
Imaginer d’autres épisodes
D’autres excès
Ecrire une autre vie
Tout enrober dans la pensée

samedi 19 novembre 2011

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Il était une fois un bras derrière un seau dans l'encadrure d'une fenêtre
trahissant un regard épieur
lorsque ce bras disparaissait soudain.

vendredi 18 novembre 2011

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Ce glissement vers la nuit mobile où chaque chose s'enchevêtre dans un élément mystérieux, où tout corps libère pour un temps son âme, où ma parole n'est plus, où je deviens le vent, le grincement du mât, le sifflement dans le gris, le claquement du dracéna.

jeudi 17 novembre 2011

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Appréhensions romaines

Des retraites impassibles, des débordements univoques, des irascibilités indistinctes, véhémence et retrait.
La vérité à Rome est piètre, inutile et malfaisante. Elle amène ces individus épars à recréer une sorte de cohorte, enchaînement invariable de cris apeurés et soupirs rejetés au hasard des connivences. Des rencontres s’établissent maladroitement. Il faut s’échapper du bruit des rues, du labyrinthe, ne serait-ce qu’un piètre instant, discerner une voix,une femme qui se mouche ou siffle au gré d’une atmosphère tiède, incommodante telle la mort désacclimatée et inconvenante dans sa parure fabriquée un soir de carnaval à la piazza Farnese.
Ils passent leur temps à déambuler, courir le temps sans s’inquiéter des conséquences. Tôt au tard, ils en paient le prix, modique pour ces heures de douce lassitude.
Rien n’arrive… Même l’imprévisible a un goût de recycler.
Rome Chaleur Brume. On y aspire les volutes de cigarettes plus qu’ailleurs. Une torpeur lancinante vous étreint dès une heure de l’après-midi, un sortilège inhalant des effluves d’herbe séchée, de terre mêlée à une eau suintante. Adossé dans une lumière rendue blanche par l’intensité, le soleil fait son œuvre jusqu’aux prémisses de l’insolation en accord avec cette irrépressible envie de basculer, laisser tomber la tête dans cet espace vide.
Rome prend les couleurs des voyageurs qui la traversent. On n’y parle pas, mais on discute de tout et rien. Tout sert à tout, même l’homme allongé par terre garde sa place et évite de rompre le rythme trépidant des habitués de Termini. Des jardins entrecoupés de pierre, des esseulés disposés harmonieusement sur les escaliers de Sainte Marie Majeure.
Le rire de l’étranger à Rome est artifice : une ivresse permanente l’inquiète car il ne peut se l’expliquer. L’émotion est comme un mal-être et les rares éclats de violences des Romains si inattendus joueront au palliatif. Rome ne propose pas de perte de mémoire salvatrice, seul un verre de grappa renversé sur le rebord de la table en terrasse, flaque presque sèche mais juste assez poisseuse.
Rome n’est pas une villégiature mais une ville passionnelle et calme qui vous regarde vous entre-déchirer avec elle ou un autre. Elle vous saisit le plus soudainement par le froid qui s’abat vers cinq heures du soir dans les jardins de la villa Borghese parce que vous avez trop dévoilé son ou votre jeu mais quelle différence.
Vous êtes resté longtemps immobile, fasciné par un paysage, un homme et une femme jouant au ballon, à vous faire plaisir, émettre des interdits qui seront peut-être aussi vite oubliés. Peu de choses se fixent dans cette ville sinon la pyramide du Testaccio encerclée par les voitures et les tramways, une fin de course, la photo est ratée : contre-jour.
Le Tibre abandonné des Romains, contrée sauvage la nuit, les quais presque parisiens grignotés par la moisissure, les décharges où survivent les graffitis et les rats. Rome est une citadelle où Dieu et Diable vivent en concubinage, où les ossements des capucins servent de galeries aux morts. Les gamins s’en foutent, restent sur leurs pas-de porte et vous apostrophent lorsque vous passez trop près. Un homme dans sa voiture vous défend d’un geste d’approcher de son bazar métallique. Vous le crânez, vexé qu’il ne se laisse pas envahir.
Le Tibre ressemble à Rome par son cours irrégulier, à sec et  boueux, profond puis secoué de remous, une eau grise presque noire et par endroits captant le ciel, la pierre ocre et la branche enracinée.
Je retiendrai les courbes, les fontaines bordées de badauds où l’eau crépite, l’ombre le soir tombant de Giordano Bruno sur le Campo di Fiori qui semble encore condamner cette église prostituée, le banc arraché du square du Testaccio, l’allée de broussailles menant au Vatican et le choc physique du vide de la basilique, des complicités muettes, une légèreté, un regard enflammé… l’innocence !

mardi 15 novembre 2011

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Anatole n'avait qu'un ou deux rêves à faire encore. Le dernier était déjà loin. Il n'en conservait qu'un émoi fugace, une ombre sur ceux qui l'avaient construit patiemment.
Anatole était désoeuvré depuis deux jours. Il se levait, ébauchait un mouvement de claquettes et s'écroulait lourdement, les fesses sur le coussin au centre de la pièce. Ce rond le rassurait... c'était sa chambre, sobre et confortable. Une fois, il avait décidé un ami d'y séjourner. Celui-ci s'était contenté d'un bref coup d'oeil désapprobateur, d'un: "encombré, non!" et avait laissé là Anatole, un peu vexé tout de même.
Anatole n'avait pas seulement cette pièce. Il adorait voyager dans le couloir, la salle de bains surtout avec les lézards qui couraient le long des murs.
Anatole manquait d'imagination. Il restait là sans mouvement intérieur, pas un hiatus, un visage immobile avec une vague expression satisfaite.
J'ai pas pu. Je l'ai quitté. Je pouvais tout supporter les lézards, les silences mais le coussin car il faut que je dise que le coussin c'est moi qui le réparais... Tout le temps, à force, je n'ai plus trouvé le fil adéquat, celui qui résistait sept fois.
Anatole s'est fâché. On s'est regardé et j'ai vu à travers lui le coussin dans l'oeil gauche, le fil dans celui de droite et là j'ai pas pu.


lundi 14 novembre 2011

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Une fleur trop piquée de bleu.
Des passants plutôt peureux et timides, les visages parsemés de larmes, les yeux fixés vers l’intérieur. Loin, large vers l’horizon.
L’obstacle inexistant, toujours anticipé.
Puis, un écueil dans le vent, une ondée chaude presque brûlante. 
Ils tendent leurs mains vers le haut, avides de repousser cette chaleur brute et inexorable qui s’immisce dans les pores, perle sur les cils et s’introduit dans les bouches.
Les corps s’immobilisent doucement, conservant des postures inhabituelles. Les peaux restent souples. Les yeux toujours mobiles regardent sur les côtés pour se rassurer sur l’état général, puis de bas en haut, poussant désespérément vers le ciel, inaccessible jusqu’alors.

Ce ciel dévoilé se troue de part en part, sans laisser apparaître son épaisseur.
La pluie cesse. Les corps se ramollissent et se projettent à terre comme des ballons se vidant d’hélium. Les visages s’emmêlent aux bras. Un imbroglio remuant tourne, se love, se détache et s’arrête. Les regards fixent de nouveau mais différemment. Les pupilles se dilatent. L’iris mêle les couleurs, les reliefs, s’habitue et organise les contours, une direction, le champ et l’attachement à une vision désormais précise et aléatoire.
Des sons s’élèvent du fond de la gorge, remontent et franchissent la peau, secouent les visages dans tous les sens et se définissent jusque dans les corps.

dimanche 13 novembre 2011

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Je retourne dans le métro. Je retrouve les traits tirés, les regards en soi, les fatigues qui s’étirent, les strapontins usés. 
Les visages s’évitent, les mains se touchent par inadvertance vite dans les poches. Les yeux tirés de leurs langueurs par un verbe trop haut, le corps en repos ou suspendu dans le mouvement, l’obscurité du tunnel. 
Où seuls se reflètent dans les vitres des hommes/femmes qu’on observe à la dérobée.On se ressemble tous, magma réconfortant. 
Je suis dans chacun d’eux, je me fonds en eux dans le silence, les respirations tranquilles, le déjà loin, le presque ailleurs. Une parenthèse de souffle, grincements, transpirations, proximité des corps et absences.

samedi 12 novembre 2011

Louise


Les cheveux rouges ouvrent le coffre
Le laborantin glisse un œil dehors
Le mec du chantier gare sa voiture près de son engin et perfore la terre
Le graphiste claque sa portière et soulève son rideau de fer
La poubelle reste dehors
L’oisillon crevé perforé de trous dans son nid
La voisine invisible et enceinte de cinq mois
Les salariés dans le va-et-vient des heures de repas
L’homme au crâne presque chauve et ses lunettes de professeur Tournesol
Les mots anglais de mon copain australien et son regard fatigué dans ce café enfumé des bords de Seine. Simplement heureux et vaguement attentif
Le type qui sort de son porche tel un diable de sa boîte, scrute la rue et prend un sens
La femme au chien que je ne vois plus trop en ce moment
Le mec qui fume sa clope avec vue plongeante sur notre appartement et qui bosse jusque tard
Un ami qui lui fait coucou un soir de notre séjour

Des gens tout autour qu’on connaît et qu’on ne va pas voir
Le soleil en face et pas chez nous
La dame qui se chauffe au soleil et les pigeons au-dessus qui font leur nid dans un vase en terre cuite
Un appart sur deux vide six mois de l’année
Les poseurs de PV de 14h30 et 18h00
Les réverbères de la rue de Flandres vers 22 heures.

jeudi 10 novembre 2011

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C’est une période où les fleurs commencent à se décomposer
Où les jours sont les plus longs
Les chemins de terre sentent la chaleur de l’après-midi
Le ruisellement de l’eau écartent les pierres de mes pas
Où les méduses envahissent la plage au nom magique de goho
Les piqûres me rapellant la souffrance en dedans la langueur au dehors
La nuit vers 23 heures si loin si chaude si bruyante tout au long de mon sommeil
L’attente d’un avenir.

mercredi 9 novembre 2011

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Le vent redouble et chasse les derniers promeneurs. Le début de la soirée et on allume déjà les ampoules.
L'été passe et je ferme les yeux.
Je pourrais m'imaginer face à une plage malmenée par les vagues hivernales, préservée par une grande vitre.
En dehors et au-dedans.

mardi 8 novembre 2011

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 C’est un visage jeune, des yeux en amande, des cheveux noirs fins dessinant l’ovale du visage.
Une attention portée ailleurs qui me permet de l’observer, le détailler à loisir. 
De parsemer cet intérêt appuyé de répliques et d’anecdotes légères pour le mettre en confiance.

lundi 7 novembre 2011

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Derrière l'humble, le caché, le normal,
Ce qui bifurque, prend le large sans prévenir,
Ce qui couve sous la surface libre.
On ne peut pas tout sauver.

samedi 5 novembre 2011

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Je ne vois plus rien
Je ne respire plus
Je n'entends plus
Je me glisse sous la terre